Le plus vieux restaurant de Paris, créé en 1582, c’est dire s’il a connu des Rois, des Présidents, des stars, des soldats, que sais-je des trafiquants ? Cette date du XVIe provient du site de la Tour d’Argent et contrairement aux stars d’Hollywood, en la matière il vaut mieux passer pour très vieux que juste pour vieux. L’origine du restaurant est incertaine néanmoins. Wikipedia indique que l’origine connue et documentée remonte au XIXe siècle. Cela fait de ce restaurant un très vieux restaurant et ne veut pas dire qu’il n’a pas existé avant.
4 siècles de clients du monde entier
L’établissement a vu en ses murs, Sir Winston Churchill, à l’époque on devait pouvoir fumer le cigare en salle, Charlie Chaplin, John Fitzgerald Kennedy, Marilyn Monroe, peut-être pas ensemble. Les célébrités ne se comptent plus, j’ajouterai bien Orson Welles ou l’Empereur du Japon, Marcel Proust ou Salvador Dali. Quatre siècles et demi cela donne de nombreuses anecdotes possibles. Henri III y aurait découvert la fourchette à trois piques utilisée par des gentilshommes italiens alors attablés dans l’établissement.
la Caneton et le Canard comme spécialité immuable
La spécialité de La Tour d’Argent : le canard. Le canard au sang. Plus de 1 million de canards ont été dégustés, découpés depuis la moitié du XIXe siècle. En 1890, Frédéric Delair maître d’hôtel devenu propriétaire instaure et codifie la recette du canard au sang. Il élabore un rituel de découpe à bout de fourchettes sans toucher le plat. Est-ce parce que la fourchette aurait été vue par le Roi pour la première fois ici ? En tout cas, c’est à cette date que le comptage des canards a commencé et atteindra le million en 2003.
Les canards de la Tour d’Argent viennent de Vendée et sont à la carte dans plusieurs recettes. Canetons au sang Frédéric Delair, Caneton avec son jus aux baies de passion et son chutney mangue et coriandre. Caneton Mazarine à l’orange et farci à la truffe et au foie gras à la Royale.
La cuisine a été ouverte, c’est dans l’air du temps. Je vous en ai déjà parlé pour le restaurant Passionné. De grandes baies vitrées donnent à la salle la jouissance de la vue sur Notre-Dame et l’île de la Cité. Une pièce métallique, une beauté d’artisanat d’art, orne le plafond.
Une cave immense et chargée d’histoire
La cave est toujours aussi impressionnante. J’en parle comme si j’étais un habitué. Vous reconnaîtrez mon humour. 1200 m² tout de même et 300 000 bouteilles. Victor Gonzalez veille sur ces pièces de collection, les grands crus, les cuvées confidentielles et les années exceptionnelles. Ce n’est plus une cave, c’est un petit entrepôt. Il y a désormais un bar au rez-de-chaussée et un appartement au 5e étage pour ceux qui rencontreraient des difficultés à rentrer chez eux. 8900 euros la nuit, tarif 2024, tout de même.
En 1940, durant la seconde guerre mondiale, l’Etat major nazi prend possession des lieux. Visiblement ils n’aimaient pas que l’opéra baroque et la barbarie. Ils avaient dû en entendre parler de La Tour d’Argent depuis Berlin. Claude Terrail mure la cave de ses propres mains espérant y cacher une partie des 500 000 bouteilles. Il a dû mettre quatre rangées de briques pour qu’un éventuel coup de crosse de fusil donne un son mat qui faille penser à un mur porteur.
La famille Terrail en maître des lieux
Il a dû y penser un paquet de fois à ses bouteilles pendant la guerre et passer un sale moment. Comparé à d’autres, je vous l’accorde c’est peanuts, mais engagé dans le 2e DB de Leclerc il sera de ceux à libérer Paris. Mon magot ! Mon magot ! j’extrapole. En attendant, c’est lui qui a cassé son mur et redécouvert ses bouteilles avec 5 ans de plus. Il a dû prendre le temps de choisir sa petite quille pour célébrer cela.
Claude Terrail, sauveur de la cave, va en devenir propriétaire de La Tour d’Argent mais y rester trop longtemps. Avec le temps l’établissement va perdre une première étoile puis une deuxième étoile au Michelin. Était-ce essentiel pour l’établissement ? Je ne suis pas le mieux placé pour répondre. A vrai dire, je pensais qu’il en avait de facto d’office deux mais cela n’est pas le cas en 2024. Le fils Terrail, André de son prénom est à la tête depuis 2006 et l’établissement a vu plusieurs chefs se succéder. Stéphane Haissant, Philippe Labé et Yannick Franques depuis 2019.
L’établissement a fait peau neuve l’année passée, après un an de travaux, pour afficher un nouveau décor. Juste à côté, si vous passez quai de la Tournelle vous remarquerez, une rôtisserie d’« Argent » bien sûr et la boulangerie de la Tour. « Il n’est rien de plus sérieux que le plaisir » c’est la devise des lieux.